La mise en retraite prématurée de Jules Alingete Key, alias Clé-Boa, a jeté un pavé dans la mare, et bousculé d’une manière profonde la conscience collective. Et pour cause ? D’après une ordonnance sortie le mercredi 7 mai 2025, cet artisan de la lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics en RDC a été congédié d’une manière indue, en dépit du fait qu’il lui soit reconnu, avec d’autres pairs, des bons et loyaux services rendus à la nation congolaise; ces derniers sont de ce fait admis à l’éméritat, ce qui présuppose que ces retraités privilégiés vont désormais jouir des honneurs et de la récompense due aux dits loyaux services.
Cependant, ce limogeage, qui ne dit pas son nom, est plutôt perçu d’une façon mitigée dans l’opinion publique. Car, en scrutant de près cette affaire, la figure de proue de la moralisation des finances publiques en RDC a été brusquement évincée de son poste sans explication officielle valable. En effet, d’après certaines supputations, l’autorité publique l’aurait disgracié pour des motifs sujets à caution. D’où le besoin de recourir à une mise en retraite burlesque, pour soigner les apparences. Mais là où le bas blesse, c’est lorsque dans la précipitation, puisqu’il fallait en finir avec le pestiféré, on va embarquer dans cette affaire presque tous les Inspecteurs généraux des finances de sa promotion, en faisant fi des règles prévues à cet effet.
En outre, quelques-uns de leurs compères qui ont le même âge que les nouveaux pensionnés, et qui sont de la même promotion qu’eux, n’ont pas été touchés par le tsunami. On parle notamment du successeur de Jules Alingete, Christophe Bitasimwa, le nouvel IGF-CS, qui aurait presque le même âge que son prédécesseur, tout en étant également de la même promotion que lui. Il en serait de même du nouvel IGF-CSA TSHIBINGU, recruté à l’IGF le même jour que son ancien chef de service. Pourquoi ces deux poids deux mesures ? D’aucuns pensent que cette ordonnance de mise au ban des chevilles ouvrières de l’IGF est fortement entachée d’irrégularités, puisqu’ayant violé les principes légaux de base.
A en croire certaines sources, à plus ou moins 60 ans, « Clé-Boa » n’a pas encore atteint l’âge officiel de la retraite, fixé à 65 ans par le législateur congolais. En plus de ce qui est dit ci-haut, ce départ cavalier frise le dérapage du fait que le concerné a entraîné dans sa chute presque tous ses collègues de promotion, qui n’ont pas été pré-avisés; ce qui rend l’acte posé antithétique. Et vraisemblablement, tous les Inspecteurs Généraux des Finances ayant été envoyés au bain au même moment que leur chef de service ne semblent pas être prêts à accepter cet oukase. Il y a donc le feu qui couve sous la braise.
L’on relève également plusieurs égarements entre ce départ inopiné, et les vitupérations des victimes des rapports produits par l’IGF. Ces derniers, qui ont toujours cherché à rendre la monnaie de la pièce à l’ex patron de la patrouille financière, ont toujours promis le retour de la manivelle à leur tombeur. Des hommes forts du régime comme Tony Muaba (ex-ministre de l’EPST), Eteni Longondo (ex-ministre de la Santé) ou encore Nicolas Kazadi (ex-ministre des Finances), pour ne citer que ceux-là, n’ont pas bien digéré leur exclusion de la gestion de la Respublica, qui a été bien sûr provoquée par les rapports accablants de l’institution que dirigeait Jules Alingete Key.
Ainsi s’ étaient-ils mis à tirer à boulets rouges sur le pestiféré, en lui prêtant notamment des ambitions présidentiables, pour mettre à mal ses relations avec le Boss. Pas plus tard qu’à l’avant-veille de la publication de l’ordonnance qui a fait boule de neige, une allusion avait été faite dans une interview par Nicolas Kazadi Kadima Njuji, le ministre des finances déboulonné par les contrôles de l’IGF, qui avait prêté à M. Alingete l’envie de devenir Premier Ministre ou Ministre des finances, alors que tel n’était pas, selon le concerné, son souhait. Dernièrement, un papier au vitriol ayant parlé de Jules ALINGETE comme le « parrain de la maffia bétonnée », dont la tête a été réclamée par les yankees, afin d’adouber le climat des affaires, avait circulé sur la toile. Pour l’auteur de cet article sur commande, l’ancien homme fort de l’IGF serait à la tête d’une bande des corrompus tous azimuts, opérant sous l’égide de la fiduciaire de sa femme, qui aurait servi d’écran à quelques opérations illicites.
Pourtant, à en croire Jonas Tshiombela, de la Nouvelle Société Civile, durant près de cinq ans, Jules Alingete a mené une guerre frontale contre la prédation financière, mais celle-ci est restée exsangue. Les multiples rapports produits, les audits médiatisés ainsi que les montants révélés ont rarement abouti à des poursuites judiciaires, avec des sanctions exemplaires. Aujourd’hui, le virement de Jules Alingete de la tête de l’IGF ressemble à un règlement de comptes, mais qui peut aussi être interprété comme l’enlisement de la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics. Quant au peuple, il croit mordicus que quelques membres de la Nomenklatura ont sûrement pensé que Clé-Boa serait devenu trop célèbre, influent, incontrôlable, voire dangereux pour certains apparatchiks du régime, qui font semblant d’encenser la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics, mais qui en réalité sont les premiers à crier haro sur le baudet.
Depuis la publication de l’ordonnance de la mise en retraite des professionnels du contrôle des finances publiques congolaises, le dossier Jules Alingete et compagnie dépasse le simple fait divers . « Il révèle l’ambiguïté d’un système qui se dit en guerre contre la corruption, mais qui désarme ceux qui la combattent vraiment. Si les autorités actuelles veulent être crédibles, elles doivent briser le cycle du silence, de l’impunité et des règlements de comptes. Le peuple n’a pas besoin d’effets d’annonce : il veut des résultats, de la justice, et de l’équité », atteste un observateur de la grande scène politique congolaise.
Et que dit celui qui, après 37 ans de bons et loyaux services à la République, dont 5 ans consacrés au rayonnement de l’IGF et à la traque de la mafia financière, de cette mise à l’écart ? Déjà en 2022, à la faveur d’une interview accordée à la Voix de l’Amérique (VOA), Jules Alingete avait affirmé : «Je suis fier de ma carrière de haut fonctionnaire. J’ai intégré l’IGF à 25 ans en qualité d’inspecteur stagiaire. J’ai gravi les échelons pendant plus d’une trentaine d’années, pour atteindre le sommet. C’est une fierté pour moi de terminer ma carrière à ce niveau et aller me reposer quand le Président de la République le voudra».
Quid alors du prof. José Kola Molakisi ? Le président de l’association « Les Amis de Jules Alingete » renchérit : Indélébile restera l’œuvre grandiose de Key Jules Vernes Alingete, alias Clé-Boa, laissée aux générations présentes et futures. Je fréquente ce monsieur depuis l’aube des années 70, de l’école primaire officielle de Maindombe à Kinshasa-Matete aux études universitaires, en passant par l’Institut Bikanga, un complexe scolaire perdu au fin fond de la commune de Kisenso, là où ce jeune savant a terminé avec distinction aux examens d’état. De cet enfant du peuple, on retiendra toujours son noble combat pour le peuple. Quelles que soient les vicissitudes de l’existence, il a toujours été du bon côté de l’histoire, et l’histoire lui sera toujours reconnaissante. Depuis l’époque de Kazumba, on n’a jamais vu un tel prodige à l’IGF, en termes de patriotisme et d’efficacité ! Comme tout bon phénix, il renaîtra de ses cendres.
Qui dit mieux ?
Jean-Paul Brigode ILOPI Bokanga/ directeur de rédaction.